help

Les antalgiques de niveau III : la morphine

Pour soulager les douleurs sévères

Les antalgiques de niveau III comprenant la morphine et ses dérivés sont prescrits pour soulager les douleurs sévères, correspondant, sur une échelle visuelle  (EVA), à des valeurs comprises entre 7 et 10, en fonction de l'intensité de la douleur..

La morphine : un peu d'histoire ...

La morphine demeure un des traitements de base des douleurs cancéreuses rebelles (soit sous forme de chlorhydrate, soit prescrit en sirop, Brompton cocktail, potion anglaise, potion de Saint-Christofer, soit en ampoules, soit en comprimés à libération prolongée).
Il n'y a là rien de nouveau; Thomas Sydenham (1624 -1689 - médecin anglais)  ne disait-il pas en 1670 : "
Parmi tous les remèdes qu'il a plu à Dieu tout puissant de donner à l'homme pour soulager ses souffrances, aucun n'est aussi puissant ni aussi universel que l'opium."
Il va falloir attendre 1805 pour que Friedrich Sertüner (1783 - 1841 - pharmacien allemand) isole de l'extrait de pavot, un alcaloïde aux vertus analgésiques puissantes, auquel, pensant à Morphée le dieu des songes, il va donner le nom de morphine.

La morphine : son mode d'action .

L'effet de la morphine est dose dépendant et on n'observe pas d'effet plafond. De ce fait, une augmentation de la dose s'accompagne toujours d'une augmentation de l'effet analgésique.
Les différences entre les produits de ce groupe résident essentiellement dans leur rapport d'équi-analgésie (puissance), fonction de l'affinité aux récepteurs, de leur activité intrinsèque et de leurs propriétés pharmacocinétiques telle la liposolubilité.
La dose initiale journalière est de 1 mg/kg qui peut être réduite de moitié chez les sujets âgés. Ceci représente pour un malade standard, 30 mg de morphine LP toutes les 12 heures ou 10 mg de solution de morphine toutes les 4 heures.

La morphine par voie orale

DE NOMBREUSES PRÉPARATIONS

Les voies orales sont variées et peuvent s’adapter à la plupart des situations et plusieurs options sont possibles.
La demi-vie d'élimination est longue, de 4 à 5 heures et la biodisponibilité (quantité retrouvée dans le sang) est faible de 20 à 30 %  ce qui implique des doses élevées.
La morphine se transforme dans de nombreux tissus, y compris le système nerveux central. Parmi les nombreux métabolites, la morphine 6-glucuronide est un produit plus actif que la molécule mère et passe la barrière hémato-encéphalique. De nombreux travaux récents font considérer la morphine comme une prodrogue.

LES FORMES À ACTION IMMÉDIATE

Leurs caractéristiques
Pour ces formes, le délai d'action est de 5 à 20 minutes. En  raison de la durée de l'analgésie morphinique, 4 heures, 6 prises par jour sont parfois nécessaires.
 

Le sulfate de morphine

  • Actiskénan sous forme gélules dosées à 5, 10, 20 et 30 mg
  • Sévrédol sous forme de comprimés dosés à 10 et 20 mg sécables qui peuvent être écrasés
  • Oramorph sous forme soit de soluté unidose à 10, 30 et 100 mg/5 ml, soit de gouttes (1,25 mg/goutte)
     

 Le chlorhydrate de morphine

  • Ampoules buvables dosées à 10 mg et 20 mg absorbées sur un sucre, les doses de départ étant de 10 mg toutes les 4 heures (de 0,5 mg à 1 mg/kg/24h).
  • Les sirops sont à la concentration de 1 mg/ml (1 cuillerée à dessert = 2 cuillerées à café = 10 ml = 10 mg). La prise proposée est de 10 ml d'une préparation qui porte différents noms, potion anglaise, sirop de morphine ou Brompton cocktail.
     

 LES FORMES A LIBÉRATION PROLONGÉE

Leur caractéristiques
Ces produits permettent d'éviter les prises toutes les 4 heures. Le délai d'action est d'une à deux heures et a durée de l'analgésie est de 12 heures. Deux prises quotidiennes sont donc suffisantes. Ils donnent des concentrations plasmatiques stables sur 12 heures qui se situent au-dessus du seuil d'efficacité et au-dessous du seuil de toxicité. Ceci permet d'éviter les pics plasmatiques de la forme à libération immédiate qui peuvent être responsables de la survenue d'effets indésirables ou de complications.

Les principaux médicaments commercialisés

  • Moscontin™ se présente sous forme de comprimés dosés à 10, 30, 60, 100 et 200 mg.
  • Skénan LP™ est commercialisé sous forme de gélules micro-encapsulée à 10, 30, 60, 100 et 200 mg.
  • Kapanol LP se présente sous forme de gélules dosées à 20, 50 et 100 mg à une seule prise quotidienne.

Les voies d'administration parentérale

CE N'EST PAS UN TRAITEMENT DE PREMIÈRE INTENTION...

Ce n'est que dans un deuxième temps, lorsque le traitement à dose suffisante, supérieure à 240 à 500 mg par 24 heures, devient inefficace ou lorsque les effets secondaires, dose-dépendant, sont trop importants que l'on peut avoir recours aux autres voies d'administration de la morphine.

LES VOIES D'ADMINISTRATION
Intramusculaire (IM) ou sous-cutanée (SC)
Par voie IM ou SC la qualité de l'analgésie est identique à la voie orale, mais les doses moindres de morphine font que les effets secondaires, dose-dépendant, sont moins fréquents.
Elles sont très peu utilisées pour traiter les douleurs chroniques et sont réservées aux douleurs aiguës ou à l'analgésie postopératoire. La réalisation pratique de ce traitement peut se faire grâce à l'utilisation d'infuseur ou de pousse-seringue.

Intraveineuse (IV) - PCA (Patient Controled Analgesia)
La dose quotidienne est de 0,3 mg/kg soit 20 mg chez l'adulte.
Par cette voie, la morphine est le plus souvent administrée de manière fractionnée à l'aide d'une pompe de type pousse-seringue commandée par un système informatique, à la dose de 1 à 3 mg toutes les 10 minutes environ, jusqu'à la disparition ou une atténuation satisfaisante de la douleur.
Le patient a la possibilité de déclencher l'injection du produit simplement en appuyant sur un bouton-poussoir, c'est-à-dire qu'il peut gérer lui-même le traitement antalgique en fonction de ses besoins.
Si un traitement relais est nécessaire, on vous prescrira soit à des injections sous-cutanées de 5 à 10 mg toutes les 4 à 6 heures, soit à une analgésie auto-contrôlée par voie intraveineuse avec des bolus de 0.5 à 1 mg suivis d'une période sans injection possible d'environ 10 minutes.

Les pompes implantables à morphine

Les pompes à morphine implantables ont une contenance de 12 à 40 ml selon les modèles. Elles ne nécessitent qu'un remplissage mensuel et procurent aux patients une grande autonomie. Il existe trois types de pompes selon leur source d'énergie :

  • Les pompes à énergie chimique fonctionnent par pression gazeuse, et de ce fait  ont un débit continu et ne disposent pas de système de sécurité d'arrêt en urgence
  • Les pompes à énergie électrique sont programmables et permettent la plupart des modes de perfusion : infusion continue, bolus, débit basal et dose supplémentaire... Le principal handicap de ces pompes est leur coût élevé
  • Les pompes à énergie mécanique qui délivrent des bolus de 0,1 ml par action mécanique transcutanée en appuyant sur un bouton poussoir..


Des explications détaillées vous seront fournies par le centre antidouleur. De façon pratique, les injections sont réalisées par l'infirmière libérale ou par l'infirmière d'hospitalisation à domicile sous contrôle du médecin traitant.

Les voies d'administration centrales

POURQUOI ?

Le principe de ces nouveaux modes d'administration est d'amener la morphine au contact ou à proximité des récepteurs opiacés du système nerveux central.
Par voie injectable ou orale, la morphine doit franchir de nombreux barrages, barrière digestive, hémato-méningée, avant de se fixer au niveau des récepteurs morphiniques de la corne postérieure de la moelle épinière, lieu où se produira son action. De ce fait, une très faible partie de la dose, de 0,1 à 1 %,  franchira la barrière hémato-méningée et atteindra les récepteurs morphiniques.

LES MODALITÉS D'ADMINISTRATION

Administration péridurale
Un cathéter est introduit dans l'espace péridural, qui est situé autour de la dure-mère, membrane qui protège la moelle épinière, au niveau approximatif de la zone douloureuse. Il est tunnellisé sous la peau, puis soit extériorisé et relié à une seringue pour injections itératives, soit intériorisé et relié alors à un réservoir implanté dans la fosse iliaque ou le flanc droit, réservoir que l'on remplit par voie transcutanée.
Le chlorhydrate de morphine est habituellement dilué dans du sérum physiologique. Sa posologie moyenne quotidienne varie de 2 à 6 mg et l'action intervient au bout de 20 à 25 minutes, l'effet maximum est obtenu en 45 minutes à 1 heure, l'efficacité durant de 18 à 24 heures.

L'injection intrathécale
L'injection est pratiquée en position assise à l'aide d'une aiguille fine dans l'espace sous-arachnoïdien lombaire L3-L4 ou L4-L5.   Après un test positif, est posée l'indication d'implantation éventuelle d'un cathéter tunnellisé en sous-cutané. L'extrémité proximale est reliée à un réservoir placé dans le flanc droit ou dans la fosse iliaque droite d'un volume de 1 à 2 ml. Son remplissage est quotidien et se fait à travers la peau. Les doses sont de l'ordre de 0,1 à 0,2 mg toutes les 12 à 24 heures.
L'analgésie, de bonne qualité, est obtenue en moins de 30 minutes et sa durée varie de 24 à 36 heures.
Le risque de dépression respiratoire est faible. La complication majeure est représentée par la possibilité d'infection (méningite), dans 2 à 5 % des cas.

L'administration intracérébro-ventriculaire
Elle n'est réalisée que dans certains centres spécialisés. Ses principales indications sont les douleurs irréductibles par les moyens habituels en rapport avec des cancers de la sphère ORL et thoracique haute ainsi qu'en cas de métastases multiples.
La mise en place du dispositif est simple et ne nécessite qu'une anesthésie locale. Un trou de trépan est pratiqué dans la région frontale droite.  Un réservoir  de 1 ml  est relié  à un petit cathéter de 4 cm dont l'extrémité distale se trouve positionnée dans la corne frontale du ventricule latéral droit.
Les injections sont transcutanées.
Les doses injectées sont faibles, 0,1 à 0,2 mg une fois par jour et sont généralement suffisantes pour une durée d'analgésie d'excellente qualité.

LES EFFETS SECONDAIRES DE LA MORPHINE

ILS SONT FRÉQUENTS
Ils sont relativement fréquents et seront systématiquement recherchés par l'équipe soignante. Il peut s'agir :

  • D'une constipation, observée dans pratiquement tous les cas qui est dose-dépendante mais il n'existe pas d'effet de tolérance ou d'habituation
  • Des nausées ou des vomissements, dans un tiers des cas
  • D'une sédation
  • D'une confusion mentale, dans un quart des cas traités
  • D'une dysphorie, surtout chez les sujets âgés
  • D'une sécheresse buccale
  • D'une rétention urinaire, rare mais qui sera rechercher surtout chez les malades âgés
  • En cas de surdosage, d'une dépression respiratoire


UNE ANTIDOTE...
Si la douleur, entraîne un surdosage, une antidote existe, la naloxone (Narcan ).

LES INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSES
Il existe des interactions médicamenteuses connues de vos médecins et les principales sont avec :

  • Certains antidépresseurs appelés IMAO (Humoryl ™ , Moclamine ™ , Marsilid ™ )
  • Les agonistes, antagonistes morphiniques, comme le Temgésic ™ , la Nubaïne ™, le Fortal ™
  • Les médicaments dépresseurs du SNC
  • Les antitussifs opiacés ou autres morphiniques

Comment lutter contre les effets secondaires ?

LA CONSTIPATION
La morphine ralentit le transit intestinal et les selles sont déshydratées.
On vous demandera d'augmenter votre consommation d'eau. Pour éviter un éventuel syndrome sub-occlusif ou un fécalome, responsables de douleurs abdominales, on peut vous proposer de prendre du macrogol (Forlax TM ou Transipeg TM ).

LES NAUSÉES ET LES VOMISSEMENTS
Ils sont fréquents les huit premiers jours de traitement, notamment chez les patients anxieux ou les patients vomissant sous chimiothérapie. Ils peuvent être responsables d’inefficacité et d’abandon du traitement voire de déshydratation.
Pour lutter contre ces effets secondaires, on pourra vous prescrire du Primpéran , si besoin sous forme de suppositoire, du Vogalèneou de l'Anausin .

LES AUTRES PROBLÈMES POSSIBLES
La somnolence traduit assez souvent une "dette de sommeil" et c'est une façon de la récupérer...
En cas de persistance de la somnolence, le médecin réévaluera les causes possibles (anomalie biologique, évolution de la maladie, surdosage ou association à d’autres médicaments- insuffisance rénale) avant d’envisager de changer de molécule.
Le prurit est relativement rare. Un traitement par un médicament antihistaminique (anti- H1) permet de soulager. Rarement, le médecin sera amené à changer de molécule.
Les cauchemars sont fréquents et pénibles. Ils perturbent le sommeil avec peur de l’endormissement et un  sommeil non réparateur. Le médecin réévaluera les posologies et pourra être amené à changer de molécule.
Les hallucinations sont des perceptions anormales désagréables et inquiétantes pour laquelle existe des traitements spécifiques comme l'Haldol faible(2 ou 3 gouttes en trois prises). 
La confusion, pour sa part,  est liée à la dose, mais peut exister avec de petites doses chez les patients âgés.
Les secousses musculaires sont surtout gênantes pour le conjoint !

LA DEPRESSION RESPIRATOIRE
Elle est retardée de 12 voire de 20 heures car les récepteurs sont profonds et atteints tardivement et ne se voit qu’en cas de surdosage. Plusieurs situations peuvent se présenter :

  • Le risque est est presque nul si les doses sont augmentées par paliers, progressivement et si les posologies sont adaptées à l’intensité de la douleur
  • En cas d’utilisation par voie orale, sous-cutanée ou intraveineuse, peu de morphine arrive au contact des récepteurs opioïdes centraux. Le risque est très faible.
  • Le risque est réel en cas d’utilisation des morphiniques par voies péridurale, intrathécales ou intraventriculaire

L'antidote est la naloxone qui agit rapidement, en moins de 5 minutes. En revanche, la neutralisation de la morphine peut aboutir à une recrudescence des douleurs.

La rotation des opioïdes

LE CONTEXTE

Dans 85 % des cas, le traitement antalgique prescrit permet de soulager efficacement les malades mais dans environ 15 % cas, ils vont continuer à souffrir, pour des raisons multiples comme l'existence de facteurs mécaniques (envahissements des tissus par la tumeur), l' association à des douleurs de désafférentations (nerfs coupés lors des opérations ou en cas de grande anxiété.

CHANGER D'OPIOÏDE

Ce que dit l'expérience pratique...
Parfois, inefficacité du traitement trouve son explication dans une mauvaise tolérance du médicament ou dans une résistance au produit.
Dans ces cas précis, on s'est aperçu, de façon empirique, qu'en changeant d'opioïdes, même à doses dites iso-antalgiques, on pouvait diminuer considérablement la douleur des patients. Avec cette technique, plus de 90 % des patients cancéreux douloureux sont soulagés lorsque la morphine, inefficace ou mal tolérée, est relayée par un autre opioïde.

Les bases physiologiques
Selon la théorie des récepteurs, il existerait des sous types de récepteurs µ pour lesquels les différents types de morphine n’auraient pas la même affinité. Le changement d’opioïde pourrait entrainer la mise au repos de certains et l’activation d’autres.
Selon la théorie des métabolites, le déplacement des métabolites actifs des récepteurs µ par des métabolites inactifs pourrait diminuer l'activité antalgique des médicaments.

EN PRATIQUE

Les médecins vont instituer une rotation des molécules en s'appuyant sur les tables d'équivalence des opioïdes et une rotation des modes d'administration des médicaments.

  • Changement de produit : morphine orale puis hydromorphone puis fentanyl puis oxycodone
  • Changement de voie d’administration : orale puis transdermique puis sous-cutanée puis intraveineuse (IV) à la pompe

Mise à jour

15 novembre 2010