Cancers de l'anus
Le contexte
LE CANAL ANAL
C'est la partie terminale du tube digestif. Il s’étend du rectum à la peau de la marge de l'anus. Il mesure trois à quatre centimètres de longueur.
En avant, le canal anal est en rapport avec le noyau fibreux central du périnée et les muscles qui s’en détachent. Chez l’homme, il est proche du bulbe urétral, de l’urètre et des glandes de Cowper*. Chez la femme, il est en rapport avec la paroi postérieure du vagin.
UN CANCER PEU FRÉQUENT
Le cancer de l'anus est une maladie peu fréquente du tube digestif. Il représente environ 2,5 % des cancers digestifs, mais son incidence est en augmentation depuis ces trente dernières années vraisemblablement en raison de l'expansion des maladies sexuellement transmissibles.
Dans le monde en 2023,55 000 cas on été diagnostiqués, plus souvent chez la femme.
En France, l'incidence standardisée annuelle est de 1 pour 100 000 personnes ce qui représente environ 2 000 nouveaux cas par an en 2023.
LES FEMMES ÉTAIENT PLUS SOUVENT TOUCHÉES
Il est classiquement plus fréquent chez la femme, avec de deux à six femmes pour un homme, mais la démographie des formes masculines est en train de changer avec l’évolution des conduites sexuelles et l'augmentation de l'incidence des antécédents de condylomes.
L’âge moyen de survenue est de 65 ans, il est rare avant 40 ans et exceptionnel avant 30 ans.
UN CANCER ÉPIDERMOÏDE DANS 90 % DES CAS
Contrairement aux cancers colorectaux, le cancer anal est un carcinome épidermoïde, comme la plupart des cancers de la peau et des muqueuses.
Le cancer du canal anal reste longtemps localisé et seuls 5 à 10 % des patients vont présenter des métastases viscérales.
LES FACTEURS DE RISQUE
Ils sont différents de ceux des cancers colorectaux. Les principaux facteurs de risque établis sont les suivants :
- L’infection au papillomavirus (HPV - Human Papillomavirus Virus) et les condylomes. Les HPV16 et 18 sont présents dans 90 % des tumeurs et seraient à l'origine de 80 % des cancers de l'anus ! Ceci justifie un dépistage chez les femmes à risque (infection HPV, infection par le VIH, antécédents de néoplasie intraépithéliale de la vulve de grade 3 (NIV3), de néoplasie intraépithéliale vaginale de grade 3 (NIVa3), de cancer de la vulve ou de cancer du vagin, ou présentant une immunosuppression)
- Un antécédent de cancer du col de l’utérus, de la vulve ou du vagin
- Les antécédents de maladies sexuellement transmissibles (MST)
- La séropositivité HIV
- Les pratiques sexuelles à risque et des partenaires sexuels multiples
- Une immunodépression après une greffe d’organe
D'autres facteurs de risque entrant en jeu sont :
- Le tabagisme
- Les habitudes sexuelles
- Le SIDA pour lequel la fréquence du cancer de l'anus est multiplié par 43...
- L'utilisation prolongée de cortisone ou de corticoïdes
Populations à risque |
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Personnes vivant avec le VIH |
LE DIAGNOSTIC
LES SIGNES & LES SYMPTÔMES
Les principaux signes cliniques faisant suspecter un cancer du canal anal sont :
- Des saignements (rectorragies)
- Des douleurs anales
- Une lésion anale persistante
- Une incontinence anale
LE BILAN DIAGNOSTIQUE
Le bilan initial comporte un examen clinique, incluant un examen proctologique, dans certains cas sous anesthésie générale et, le cas échéant, un examen gynécologique. Une prise de sang vérifiera l'absence de pathologie à VIH. On recherchera la présence de virus HPV.
Une étude histologique des lésions sera réalisée à partir des tissus obtenus lors de la biopsie.
Le bilan préthérapeutique comprend une écho-endoscopie endo-anale (EES) ainsi qu'une sérologie VIH (test de dépistage du SIDA).
Le bilan d'extension repose sur les investigations suivantes :
- Un scanner TAP ou une IRM ou une échographie abdomino-pelvienne
- Un PET-scan au 18-FDG (TEP-18-FDG) est recommandée en tant qu’option dans la stadification initiale du cancer du cancer du canal anal ainsi que pour détecter une récidive.
- Une radio pulmonaire
Ces examens permettent d'évaluer, en plus de la taille de la tumeur et de l'extension locorégionale pelvienne, l'atteinte ganglionnaire et l'extension métastatique qui touche préférentiellement le foie, le poumon et l'os.
(*William Cowper (1666 - 1709), chirurgien et anatomiste anglais)
(glandes situées de chaque côté de l'urètre de l'homme, et sécrétant le liquide pré-éjaculatoire)
LES FORMES DE LA MALADIE
LES CARCINOMES ÉPIDERMOÏDES
Ils se présentent sous forme d'un bourgeonnement, d'une ulcération ou bien d'une infiltration plus ou moins sténosante.
Les spécialistes décrivent plusieurs sous-catégories de cancers épidermoïdes de l'anus, à larges cellules kératinisantes, non kératinisantes (type transitionnel ou cloacogénique), ou très différenciées (basaloïde).
Il faut savoir que les tumeurs de la marge anale envahissant le revêtement cutané pileux sont classées avec les tumeurs cutanées.
LES AUTRES FORMES
Les carcinomes cloacogéniques représentent 8 à 10 % de ces cancers. Ils naissent de la muqueuse transitionnelle.
Les adénocarcinomes, comme les cancers colorectaux, sont très rares. Ils peuvent se développer à partir de la muqueuse glandulaire et de la partie supérieure du canal anal. Ils sont parfois difficiles à distinguer des adénocarcinomes d'origine rectale.
D'autres formes, plus rares, peuvent être rencontrées : mélanomes malins, carcinomes colloïdes muqueux, carcinomes adéno-squameux mixtes ou sarcomes, carcinomes neuroendocriniens à petites cellules.
Classification T.N.M. clinique de l’AJCC et de l’UICC, 8ème édition 2017
LES CLASSIFICATIONS
Le bilan initial et d'extension aboutit aux deux classifications tumorales complémentaires les plus utilisées, indispensables à l’initiation d’une stratégie thérapeutique adaptée.
La première est clinique selon la classification TNM de l’UICC de 2011 et la deuxième écho-endoscopique. La classification par stade est, elle, peu utilisée.
T.N.M. (UICC 2010)
Tumeur primitive (T) | Adénopathies régionales (N) | Métastases à distance (M) | Classification écho-endoscopique |
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LE SCORE FONCTIONNEL
L’établissement d’un score fonctionnel anal sphinctérien initial est un élément déterminant dans pour la conduite d’un traitement conservateur et l’évaluation des résultats.
Ce score prend en compte les critères suivants : fréquence des selles et des émissions glaireuses, saignements, douleur et incontinence. Il va de 0, qui représente la normalité, à 5, lorsqu'il y a une colostomie.
Stadification T.N.M. (AJCC 8éme édition 2017)
Stade | Tumeur T | Ganglions N | Métastases M |
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0 | Tis | N0 | M0 |
I | T1 | ||
IIA |
T2 T3 |
||
IIIA IIIB |
T1, T2 T4 |
N1 N0 |
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IIIC |
T3-T4 |
N1 |
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IV | Tout T | Tout N | M1 |
Les méthodes thérapeutiques
LES QUESTIONS POSÉES LORS DE LA RCP
L'objectif du traitement est de vous guérir, en contrôlant la maladie localement et en prévenant son extension.
De fait, l'équipe médicale va devoir répondre aux questions suivantes car l’évolution des cancers du canal anal est principalement locorégionale :
- Faut il prévoir une amputation ? Sinon on optera pour une conservation sphinctérienne anatomique et surtout fonctionnelle
- Faut il prévoir un curage ganglionnaire ?
- Peut-on prévoir une curiethérapie ?
- Faut il une chimiothérapie ?
Tout sera mis en œuvre afin de conserver l'anus tout en réduisant la probabilité de récidives ...
LA RADIOTHÉRAPIE CONFORMATIONNELLE AVEC MODULATION D’INTENSITÉ (RCMI)
Le traitement d’un carcinome épidermoïde du canal anal est l’irradiation. Elle implique une technique de planification tridimensionnelle et l’utilisation de photons de haute énergie. Elle se déroule en deux temps.
C'est une technique moderne de radiothérapie. La première étape consiste à scanner la région à traiter afin de délimiter avec précision la tumeur des tissus sains qui l'entourent. On détermine alors la dose de rayons à administrer. Sur la base de ces données, on module le faisceau de radiation selon différentes intensités par l'intermédiaire d'un collimateur multilame contrôlé par ordinateur. Les « lames » de ce dispositif se déplacent d'avant en arrière afin d'adapter parfaitement le faisceau de radiation à la forme de la tumeur. Les faisceaux sont dirigés selon des angles différents afin de cibler la tumeur avec la meilleure dose possible.
Comme la RCMI permet de moduler le gradient de dose, cela va permettre, pour une même efficacité, une diminution des doses intermédiaires et élevées aux organes à risque et tissus sains, même proches des volumes cibles.
Dans un premier temps, il est délivré une irradiation externe de 45 à 50 Gy en 25 séances et cinq semaines sur le pelvis, incluant le canal anal et les aires ganglionnaires iliaques et inguinales.
La radiothérapie est associée à une chimiothérapie concomitante si la tumeur dépasse 4 cm et/ou affecte les ganglions régionaux et si l’état général du patient le permet. La chimiothérapie par 5-FU–mitomycine C améliore la probabilité de survie sans colostomie et celle de survie sans récidive.
Dans un second temps, après une période de repos d’une à trois semaines permettant la régression tumorale et la cicatrisation des tissus sains irradiés, le deuxième temps comprend un complément d’irradiation délivre de 15 à 20 Gy dans la tumeur initiale et les adénopathies atteintes. Ce complément peut être délivré dans la tumeur primitive par curiethérapie interstitielle pour les tumeurs envahissant moins de la moitié de la circonférence.
L'évaluation de la réponse à la chimioradiothérapie se fera 6 semaines après la fin de la séquence thérapeutique
Cette approche donne d’excellents résultats. Selon le stade évolutif du cancer, de 65 à 90 % des patients sont en vie à 5 ans.
LA CHIRURGIE
Selon les dernières recommandations des sociétés savantes, les "petits cancers" de la marge anale peuvent être traités par une excision locale avec une marge de sécurité d’au moins un millimètre à condition qu’ils n’y aient pas d’atteinte du sphincter anal interne (cT1N0M0). Dans tous les autres cas, une chimioradiothérapie est recommandée. L'association chimio-radiothérapique comportant 5 FU et Mitomycine C pour les carcinomes épidermoïdes localisés. Une irradiation de plus de 50 Gy est généralement recommandée dans les formes localement. La capecitabine est une alternative au 5 FU en association à la mitomycine.
De plus, les études ont montré qu'une une chirurgie locale préalable à la radiothérapie dans les cancers invasifs sauf en cas de biopsie exérèse et de formes superficielles n'était une option utile.
Néanmoins, l'opportunité d'une stomie de dérivation peut être utile dans trois situations : en cas de douleurs pelviennes intenses, l'existence d'une incontinence fécale ou une fistule rectovaginale.
Une chirurgie d’amputation abdominopérinéale peut être envisagée d’emblée en cas de radiothérapie pelvienne préalable pour d’autres indications.
Les traitements selon le stade
AU STADE T1 N0 M0
La radiothérapie exclusive à forte dose est habituelle. La radio-chimiothérapie concomitante à faible dose est volontiers utilisée aux États-Unis.
La curiethérapie interstitielle permet un complément d’irradiation localisé sur le résidu tumoral ou le foyer initial.
S'il n'y a pas d'envahissement des sphincters, une chirurgie d’exérèse locale est une option.
A ce stade de la maladie, aucun curage ganglionnaire prophylactique inguinal n’est recommandé,
AUX STADES T2 N0 / T2 N1 / T2 N3 / T3 / T4
Le traitement standard de première intention consiste en une association concomitante exclusive de radio-chimiothérapie 5 FU/capécitabine–Mitomycine C concomitante. Elle est indiquée qu’elle que soit le stade N1/N3.
Les alternatives sont une chimiothérapie à base de carboplatine. Des combinaisons de trois substances (triplet) sont actuellement évaluées, ainsi que la chimiothérapie d’induction ou adjuvante.
La réponse au traitement est évaluée au minimum 6 semaines après la fin du traitement, un délai supplémentaire de 6 semaines est souvent nécessaire avant de décider une éventuelle chirurgie, en cas d'échec.
AU STADE T4/ tout N M0
L’association radio-chimiothérapie préopératoire suivie 6 semaines plus tard d’une amputation abdominopérinéale est le traitement de référence. Il faut savoir qu'à ce stade, la chirurgie ne peut être évitée que pour de très rares patients excellents répondeurs aux traitements initiaux conservant un sphincter fonctionnel après le traitement d’induction.
L’irradiation prophylactique des aires ganglionnaires inguinales est recommandée.
En cas d’envahissement ganglionnaire synchrone, le traitement peut comporter une exérèse suivie d’une radio-chimiothérapie incluant les aires ganglionnaires inguinales ou d’une radio-chimiothérapie inguinale seule.
AUX STADES MÉTASTATIQUES
Une bonne efficacité sur les symptômes peut être obtenue par une chimiothérapie. Le nouveau "standard" en matière de chimiothérapie est l'association carboplatine + paclitaxel.
L’association 5FU (600 à 1000 mg/m²) de J1 à J5 et cisplatine (80 à 100 mg / m²) en une injection sur 5 jours était le traitement standard. L'association 5-FU + mitomycine ou cisplatine est aussi souvent proposée en première ligne.
LES MALADES HIV+
Ils sont traités selon le même schéma et aux mêmes doses que les patients séronégatifs. Idéalement, pour débuter le traitement, il est souhaitable que la charge virale soit en dessous de 10000 copies /ml et le taux de CD4 au-dessus de 200 /mm3.
Un ajustement posologique peut être envisagé chez des patients très immunodéprimés ou poly-pathologiques.
Pour nous résumer...
- Radiochimiothérapie par 5FU-mitomycine C
- Traitement standard permettant une amélioration du contrôle local et de la survie sans colostomie
- Chirurgie avec amputation abdomino-périnéale
- Réservée aux cancers évolutifs après traitement par radiochimiothérapie ou aux récidives locales
LE SUIVI POST-THÉRAPEUTIQUE
Le but de la surveillance est double, d'une part dépister une éventuelle récidive locale ou métastatique susceptible d’être traitée à visée curative et d'autre part de déceler une complication locale liée au traitement.
La grande majorité des récidives locales survient dans les 3 ans après le traitement. Elles sont essentiellement locorégionales : dans 50 % des cas dans le canal anal et le rectum, mais aussi au niveau des ganglions régionaux (iliaques communs et pré-sacrés).
Le taux de récidive est estimé à moins de 20 % pour les cancers classés T1, compris entre 10 et 30 % pour les cancers classés T2 et, entre 20 et 40 %, pour les cancers classés T3 et T4.
La fréquence des complications est dépendante du volume tumoral initial. Elle est de 5 à 10 % pour les petites lésions T1-T2, de 15 à 30 % pour les tumeurs localement avancées, classées T3–T4, après traitement conservateur.
Elles sont "rattrapables" de nos jours. Dans environ un tiers des cas, elles sont susceptibles de pouvoir être "rattrapées" par la réalisation d'une amputation abdomino-périnéale lorsqu’il s’agit d’une récidive locale ou loco-régionale.
Le programme de suivi post-thérapeutique est résumé dans le tableau ci-dessous.
Les visites de suivi...
Examens | 1ère et 2ème années | 3ème et 5ème années | Après 5 ans |
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Toucher rectal | Tous les 3 mois | Tous les 6 mois | Annuel |
Examen clinique | |||
Anuscopie | |||
Scanner | Tous les 6 mois | Annuelle | |
Échographie inguinale | Si doute clinique | Si doute clinique |
De bons résultats des traitements
- Petites tumeurs (T1 T2 N0 ) 70 à 90 % de patients guéris, la plupart sans chirurgie
- Grosses tumeurs 60 à 70 % de patients guéris
- Chirurgies de rattrapage : plus de risque de complications
Mise à jour
23 décembre 2023