Les taxanes
De l’if au patient, ou l'histoire des taxanes...
UN PEU D’HISTOIRE…
L’if d’Europe, ou Taxus baccata, est un conifère utilisé pour la qualité de son bois et comme arbre décoratif, dont la toxicité est connue depuis longtemps. D’ailleurs, il semblerait que c’est à cause de cette couleur, presque noir, que l’if a longtemps été associé au deuil et était un arbre dédié aux dieux de la mort. En effet, le fait de manger quelques feuilles d’if était fatal aux chevaux et aux bovins.
Les Grecs pensaient, que même le fait de dormir sous son ombre, pouvait entraîner la mort et les Gaulois l’employaient comme poison pour leurs flèches.
Ses effets toxiques chez l’être humain ont commencé à être décrits au 18ème siècle, après le décès de certaines femmes qui l’avaient ingéré à titre abortif.
DES TAXINES AUX TAXANES…
La fraction chimique toxique est constituée par les taxines, de nature alcaloïde découvertes en 1856.
Deux toxines sont bien caractérisées : la taxine A et la taxine B. La taxine B a des propriétés cardiotoxiques.
Les taxanes sont des médicaments dérivés de l’écorce ou des aiguilles de l'if. Le paclitaxel, un des deux taxanes commercialisés, a été isolé pour la première fois par Wanni et Wall en 1967. Ces chercheurs décriront sa structure chimique en 1971.
UNE CIBLE : LES MICROTUBULES…
Les taxanes bloquent la division cellulaire en désorganisant le fuseau par un impact sur les microtubules. Les microtubules jouent un rôle primordial à chaque étape du cycle cellulaire depuis la phase de synthèse de l’ADN jusqu’à la division cellulaire. Ce sont des constituants essentiels du fuseau mitotique qui guident la séparation du matériel génétique de la cellule-mère vers les deux cellules filles. Ils interviennent, aussi, dans le maintien du cytosquelette.
LES EFFETS SECONDAIRES DES TAXANES
Ce sont des produits relativement toxiques, en raison de la molécule active et de leur solvant. Ils sont à l’origine, dans près de 100 % des cas, d’une alopécie et souvent d’une atteinte des ongles. Des neuropathies, des aplasies, parfois profondes, peuvent être observés.
Il existe, un risque de survenue d'œdèmes des membres voire des séreuses (épanchements pleuraux et péricardiques) qui seront prévenus par une prémédication.
LE PACLITAXEL (TAXOL™)
Il est extrait de l'écorce d'if, Taxus brevifolia répandu dans l'Ouest américain mais dont la croissance est lente. Sa production est très limitée car 10 kg d'écorce fournissent seulement 1 g de médicament, permettant trois cycles de chimiothérapie et il faut abattre plusieurs arbres centenaires ! Ce produit est maintenant obtenu par hémisynthèse à partir de la 10-desacétyl-baccatine III, extraite des feuilles d’if.
Ce médicament est très peu soluble dans l’eau ce qui a nécessité l’utilisation de solvants spécifiques, comme l’huile de ricin polyéthylenée (Crémophor™), un détergeant, et potentiellement allergisants par libération d’histamine.
Les indications principales de cette molécule sont le traitement :
- Des cancers de l'ovaire, première et deuxième ligne
- Du cancer du sein, en traitement adjuvant, en protocole séquentiel après un traitement par une anthracycline et dans les formes avancées, seul ou en association avec Gemzar™)
- Le sarcome de Kaposi
- Les cancers du poumon non à petites cellules en association avec le cisplatine.
Son administration se fait, toutes les trois semaines, en perfusion intraveineuse, d’une durée de 3 heures. La dose moyenne varie de 175 à 250 mg/m², selon que le médicament est utilisé en première ou en seconde ligne de traitement. Il est utilisé le plus souvent avec un sel de platine. C'est l'association dite CarboTaxol.
La perfusion doit être précédée de l’administration de corticoïdes, d’antihistaminiques et de médicaments antagonistes des récepteurs H2 chez tous les patients, pour la prévenir des réactions d’allergie.
C'est un produit relativement toxique. On peut observer des neuropathies, des aplasies parfois profondes, la perte transitoire des cheveux. De plus, lié au solvant il existe un risque de survenue d'œdèmes des membres voire des séreuses (épanchements pleuraux et péricardiques).
Le nab-paclitaxel (Abraxane™)
Il est composé de paclitaxel lié à des nanoparticules d’albumine sérique humaine. Il est synthétisé par un processus d’homogénéisation à haute pression du paclitaxel en présence d’albumine humaine. Il a été initialement développé pour diminuer la toxicité généralement associée au crémophore du paclitaxel soluble et augmenter sa pénétration dans les tissus tumoraux.
Il est indiqué pour le traitement :
- Du cancer du sein métastatique en seconde ligne ou plus : 260 mg/m² en perfusion intraveineuse toutes les 3 semaines.
- Du cancer du pancréas en association avec la gemcitabine, la posologie est de 125 mg/m² en perfusion intraveineuse à J1, 8 et 15 de chaque cycle de 28 jours;
- Du cancer bronchique non à petites cellules, la dose recommandée est de 100 mg/m² administrée en perfusion intraveineuse les jours 1, 8 et 15 de chaque cycle de 21 jours en association avec le carboplatine.
Une aplasie médullaire (principalement une neutropénie) est fréquente. La neutropénie est dose-dépendante et est une toxicité dose-limitante. Il est nécessaire d’effectuer une surveillance étroite de la numération sanguine tout au long du traitement.
Les neuropathies sensitives sont fréquentes, toutefois, des symptômes sévères se développent plus rarement.
Une septicémie a été rapportée avec une incidence de 5 % chez les patients présentant ou non une neutropénie. Une pneumopathie est survenue chez 1 % des patients traités.
Le docétaxel (Taxotère™ et génériques)
Le docetaxel est un dérivé synthétisé en France (1989), à partir de la 10-desacétyl-baccatine III. Le principe actif est extrait à partir des aiguilles de l'if européen, Taxus baccata. Il est plus soluble dans l’eau ce qui n’élimine pas complètement l’utilisation de solvants, comme le tween 20.
Ce médicament est efficace dans de nombreuses tumeurs. Les indications homologuées sont les suivantes :
- Cancer du sein seul ou en association (adjuvant, localement avancé ou métastatique)
- Cancer du poumon non à petites cellules avancé en seconde ligne seul ou en association au cisplatine
- Cancer de la prostate, en association à la prednisone ou à la prednisolone
- Cancer gastrique métastatique en association avec le cisplatine et le 5-fluorouracile
- Cancer des voies aéro-digestives supérieures, en association avec le cisplatine et le 5-fluorouracile (TPF) est indiqué dans le traitement (adjuvant pour les carcinomes épidermoïdes localement avancés).
Il est actif par voie injectable à la dose de 100 mg/m² toutes les 3 semaines par voie veineuse, en perfusion d'une heure.
Il est toxique pour la moelle osseuse (baisse des leucocytes et des plaquettes) et entraîne des réactions d'hypersensibilité, une rétention d'eau avec œdèmes et épanchements et des troubles neurologiques.
Le cabazitaxel (Jevtana™ et génériques)
Le cabazitaxel appartient à la même famille que le docétaxel, les taxanes. Il est actif par voie injectable et est homologué en Europe.
L’essai TROPIC portant sur 755 hommes présentant un cancer avancé a comparé l'effet du cabazitaxel, administré une fois par semaine pendant trois semaines avec de la prednisone, un corticoïde, à une une chimiothérapie conventionnelle associant la mitoxantrone et la prednisone. Dans le groupe mitoxantrone, la médiane de survie s’est établie à 12,7 mois et celle du groupe recevant le cabazitaxel à 15,1 mois. Statistiquement, la réduction relative du risque de décès, ce qu’on nomme " hazard ratio ", était de 30 % (intervalle de confiance 17 à 41 %; p<0,0001)
Le traitement n’est cependant pas anodin, puisque 7,5 % des patients ont été confrontés à un effet secondaire sérieux, la neutropénie fébrile.
Il est indiqué, en association à la prednisone ou la prednisolone, pour le traitement du cancer de la prostate métastatique, hormono-résistant, précédemment traité par une chimiothérapie à base de docétaxel.
Une prémédication est recommandée au moins 30 minutes avant chaque administration comprend une antihistaminique, un corticostéroïde, et avec un antagoniste H2 (ranitidine ou équivalent). Une prophylaxie antiémétique est aussi préconisée. Enfin, une hydratation adéquate du patient doit être prescrite.
La posologie est de 25 mg/m² administrée par perfusion de 1 heure toutes les 3 semaines en association avec 10 mg par jour de prednisone ou prednisolone administrée par voie orale pendant tout le traitement.
Halaven™ (éribuline)
L'eribuline (Halaven™) n'appartient pas à la famille des taxanes, mais à la classe des agents antinéoplasiques de type halichondrine.
C'est un analogue de synthèse à structure simplifiée de l'halichondrine B, une substance isolée de l'éponge marine Halichondria okadai.
L'éribuline inhibe la phase de croissance des microtubules sans altérer la phase de raccourcissement, et piège la tubuline dans des agrégats non productifs. Elle exerce ses effets par un mécanisme antimitotique au niveau de la tubuline, qui entraîne le blocage de la phase G2/M du cycle cellulaire , une perturbation des fuseaux mitotiques et finalement la mort cellulaire par apoptose après un blocage mitotique prolongé
Ce médicament est homologué pour le traitement en seconde ligne du cancer du sein localement avancé ou métastatique ainsi que pour le traitement des liposarcomes non résécables.
La dose recommandée d’éribuline est de 1,23 mg/m² et doit être administrée en injection intraveineuse sur 2 à 5 minutes à J1 et J8 de chaque cycle de 21 jours.
Les effets secondaires sont proches de ceux des taxanes.
Mise à jour
13 février 2024