Kinases et leurs inhibiteurs
Les enzymes "kinases"
UNE KINASE
Ce terme est composé à partir du grec kineîn, « mettre en mouvement », et de -ase, élément indicatif d'une fonction enzymatique. Il désigne toute enzyme catalysant une réaction de phosphorylation.
LEUR MODE D'ACTION
Les kinases sont des enzymes qui jouent un rôle crucial dans de nombreux processus biologiques. Elles catalysent le transfert d'un groupe phosphate d'une molécule donneuse, généralement l'ATP (adénosine triphosphate), à une molécule cible, souvent une protéine. Ce processus est appelé phosphorylation, et il est essentiel pour réguler l'activité de nombreuses protéines et signalisation cellulaire.
ATP --------------------------> ADP Molécule cible (substrat) ------------------------------------> Substrat + P |
La molécule cible, appelée le substrat, peut être une protéine, un lipide, un sucre ou encore une kinase. Lorsque le substrat est un ou plusieurs résidus tyrosine d’une protéine, les enzymes sont appelées protéine tyrosine kinases ou plus simplement tyrosine kinases (TK).
UNE GRANDE FAMILLE
Les kinases sont plus ou moins spécifiques et sont régulées par des combinaisons de seconds messagers. Il existe 518 gènes codant pour des kinases dans le génome humain (kinome), parmi lesquelles :
- L'hexokinase catalysant la phosphorylation des hexoses
- La glucokinase catalysant la phosphorylation du glucose
- La créatine kinase
- Les récepteurs à activité tyrosine kinase (TK)
- La protéine Janus kinase (JAK1, JAK2, ...), ......
Les tyrosines kinases
UNE ENZYME
Environ 90 tyrosine kinases sont connues actuellement. Parmi celles-ci, 60 sont à fonction de récepteur transmembranaire et 32 sont des tyrosines kinases non associées à un récepteur, par exemple la famille JAK et la famille SRC.
C'est une enzyme qui transfère un groupe phosphate de l'ATP à une protéine dans une cellule. Elle fonctionne comme un commutateur "on" ou "off" dans de nombreuses fonctions cellulaires.
Les tyrosines kinases sont une sous-classe de la protéine kinase. Le groupe phosphate est attaché à l'acide aminé tyrosine sur la protéine
L’activité tyrosine kinase est localisée soit au niveau de la partie intracellulaire du récepteur qui s’autophosphoryle lors de l’activation par le ligand (récepteurs à tyrosine kinase intrinsèque -RTK) soit à l’intérieur du cytoplasme (récepteurs à tyrosine kinase associée).
RTK + ligand (facteur de croissance) ----------------> Auto-phosphorylisation |
LEUR SITUATION
La plupart des tyrosine-kinases sont des protéines intracellulaires mais certaines sont des récepteurs membranaires avec des domaines de liaison extracellulaire et intracellulaires.
Elles sont nombreuses et présentent des différences structurales si bien qu’il est possible d’inhiber spécifiquement celles qui sont liées à tel ou tel facteur de croissance, par exemple.
LEURS RÔLES
La phosphorylation de la tyrosine a comme fonction principale la régulation de signaux intercellulaires aboutissant à la croissance, la différenciation, l'adhésion, la motilité et mort cellulaire par apoptose.
- Les protéine-kinases phosphorylent des protéines spécifiques sur des résidus d'acides aminés comme la sérine, la thréonine ou la tyrosine.
- Les lipide-kinases phosphorylent des lipides, comme les phosphatidylinositols.
- Les nucléotide-kinases catalysent le transfert de groupes phosphate entre différents nucléotides.
Les Récepteurs Tyrosine Kinase (RTK)
LES RÉCEPTEURS
Il existe près de 60 gènes codants pour les récepteurs cellulaires à activité tyrosine kinase. Selon leur structure, ces récepteurs se regroupent en 20 familles différentes. Tous ces récepteurs ont une structure et des mécanismes d'activation assez similaires.
C'est une famille de molécules capables de recevoir des signaux de l'extérieur via leur partie extracellulaire pour les transmettre à l'intérieur de la cellule et induire de nombreux messages cellulaires. Ces récepteurs ont une activité tyrosine kinase dans leur trajet intracellulaire.
La transmission des messages à la cellule passe alors par l'autophosphorylation du récepteur sur des résidus tyrosine.
Ils se caractérisent par une région extracellulaire comportant le site de fixation du ligand (facteur de croissance pour la cellule) reliée par une unique région transmembranaire (TM) à une partie intracytoplasmique douée d'une activité enzymatique de phosphorylation sur des résidus tyrosine.
- La partie extracellulaire comprend des domaines permettant au récepteur de dimériser (domaines de type immunoglobuline, fibronectine, domaines riches en cystéine, en leucine)
- Le domaine transmembranaire a pour fonction l'ancrage du récepteur à la membrane.
- Le domaine intracytoplasmique tyrosine kinase représente la partie la plus conservée parmi les RTKs. C'est le lieu du départ du signal intracellulaire.
LA STIMULATION DES RÉCEPTEURS
Elle induit la dimérisation (dimère = polymère ne comportant que deux sous-unités) des récepteurs sous l’action du ligand.
La juxtaposition des domaines kinases des 2 récepteurs permet la phosphorylation de plusieurs résidus tyrosine au niveau de leur domaine intracellulaire.
Les tyrosines phosphorylées créent des sites de liaison aux protéines de signalisation possédant un domaine SH2 (src homology 2). Le domaine SH2 est présent dans un grand nombre de protéines intracellulaires et présente une forte affinité pour les séquences contenant une phosphotyrosine.
LES "SECONDS MESSAGERS"
On retrouve deux catégories de « second messager » intracellulaire :
- Les protéines avec activité catalytique portant un domaine SH2, phospholipase C (PLCγ), tyrosine kinases de la famille src, PI3K, RAS, ...
- Les protéines sans activité enzymatique comme les protéines adaptatrices (Grb2, Shc et Nck, STAT,)
L’activation de ces protéines va déclencher une cascade de réactions sur diverses voies de signalisation intra-cellulaire comme MAP ou AK
Liaison ligand ⇔ récepteur |
LA RÉPONSE CELLULAIRE
La réponse cellulaire va dépendre du type de stimulation (durée, intensité,…), du type cellulaire, de la présence de récepteurs à activité tyrosine kinase (RTK) activés car il existe de nombreuses voies de signalisation fonctionnant en parallèle.
Le devenir de la cellule repose sur cette balance de signaux.
LEUR RÉGULATION
L'activation des récepteurs à tyrosine kinase (RTK) est finement régulée.
Les kinases possèdent une séquence appelée 'boucle d'activation" dont la situation par rapport au site de fixation de l'ATP, conditionne l'activité du récepteur.
La boucle d'activation doit être phosphorylée pour que la kinase soit active. Dans la conformation dite "ouverte", il y a fixation de l'ATP et transphosphorylation. Dans la conformation dite "fermée", la boucle masque le site de liaison de l'ATP, réduisant ainsi l'activité catalytique du récepteur.
EN CAS DE DÉRÉGULATION
Le mécanisme d'auto-inhibition, commun à de nombreuses kinases est fréquemment perturbé dans les cancers.
La répression normale des domaines catalytiques est alors inhibée formant des protéines constitutivement actives. La dérégulation de l'activation d'un RTK a, alors, d'importantes conséquences sur les réponses biologiques finales. Cette dérégulation aboutit au phénomène d'addiction oncogénique (la cellule étant en permanence activée).
Dérégulation des récepteurs à activité tyrosine kinase
REGULATEURS
Les kinases sont souvent impliquées dans des cascades de signalisation, où une kinase active une autre kinase.
Des dérèglements de l'activité kinase peuvent être associés à diverses maladies, dont le cancer, le diabète et des troubles neurologiques.
DEREGULER...
La transformation oncogénique induite par une activation d'un récepteur à tyrosine kinase (RTK) peut être déclenchée par quatre mécanismes principaux :
- Des mutations ponctuelles de type gain-de-fonction, délétions partielles dans la séquence codante et mutations inhibitrices
- Des délétions dans le récepteur
- Une amplification génique aboutissant à une surexpression aboutit à l'activation constitutive de la kinase. C'est le cas de ERBB2/neu qui est fréquemment surexprimé dans des cancers du sein, de l'estomac et du poumon.
- Des réarrangements chromosomiques et formation d'une protéine de fusion.
LES INHIBITEURS DE TYROSINE KINASE (ITK)
GLOBALEMENT
Ce sont des médicaments qui bloquent sélectivement une ou plusieurs kinases intervenant dans une voie d’activation cellulaire utilisée préférentiellement par les cellules impliquées dans la maladie à traiter (cancer, maladies auto-immunes ou inflammatoires).
LEUR COMPORTEMENT DANS L'ORGANISME...
Les ITK sont généralement actifs par voie orale. Leur devenir dans le corps (pharmacocinétique - PK) est le suivant :
- L’absorption après une prise orale est variable. Le pic de concentration dans le sang ( Cmax) est habituellement compris entre 2 et 4 heures (Tmax).
- La biodisponibilité (quantité utile dans le sang) est variable selon les molécules allant de 3 % (ibrutinib) à presque 100 % (imatinib).
- La prise durant un repas peut modifier la pharmacocinétique de ces médicaments et l'indication de prise pendant ou en dehors des repas est très importante pour diminuer la variabilité interindividuelle ou pour améliorer la tolérance digestive
- Les ITK sont généralement bien distribués dans tous les tissus, y compris dans les tissus cancéreux.
- Pratiquement toutes les molécules sont fixées à plus de 85 % aux protéines plasmatiques (protein binding).
- Ces molécules sont métabolisées en premier lieu par le cytochrome CYP3A4*, à l’exception de l'afatinib, de l'idelalisib et du trametinib. Les métabolites actifs de ces médicaments ne représentent souvent que moins de 20 % de la quantité de la molécule mère.
- L’excrétion de la majorité ces molécules et de leurs métabolites est hépatique et seulement une faible fraction de ces composés est éliminé par voie urinaire.
- Les demi-vies** sont variables allant de quelques heures pour le dasatinib à 20 jours pour la vandetanib. De ce fait, les médicament sont administrés en une ou deux prises quotidiennes.
* Les cytochromes sont des enzymes présentes dans divers tissus et qui interviennent dans le métabolisme de substances endogènes et exogènes, notamment de nombreux médicaments. Ces isoenzymes assurent le métabolisme de la plupart des médicaments.
Le cytochrome P450 est un système complexe d’isoenzymes. Une trentaine de ces isoenzymes ont été identifiées au niveau du foie et aussi au niveau intestinal.
Quatre isoenzymes sont impliquées dans le métabolisme d’environ 90 % des médicaments couramment utilisés. Ces isoenzymes sont désignées en général par les termes CYP 1A2, CYP 2C9, CYP 2D6 et CYP 3A4. Les isoenzymes CYP 2B6, 2C8 et 2C19 sont impliquées dans quelques interactions seulement.** La demi-vie est le temps mis par une substance pour perdre la moitié de son activité pharmacologique ou physiologique.
Mise à jour
6 août 2024